Cela faisait maintenant une semaine qu'ils chevauchaient. Partis d'Al-Vor, ils avaient traversé les grandes plaines, emprunté la passe de la Goule, avant de retraverser les plaines qui les séparaient d'Al-Jeit. Deux cavaliers, un homme et une femme, faisaient avancer leur monture au trot, côte à côte. Le premier, cavalier émérite, était vêtu de vêtements sombres, accompagnés d'une armure légère, trahissant son appartenance aux armés impériales. Attachée à ses épaules, sa cape flottait légèrement au contact du vent, laissant entrevoir son sabre, accroché à sa ceinture. La jeune femme qui l'accompagnait semblait bien moins expérimentée à la chevauchée, et la semaine qu'elle avait passée à voyager l'avait considérablement fatiguée. Ses membres courbaturés lui arrachaient une grimace à chaque brusque mouvement de sa monture, et elle aurait volontiers prit un bon bain chaud afin d'ôter la terre et la poussière qui s'étaient mêlées à ses cheveux. Aussi, c'est avec un soulagement non dissimulé qu'elle aperçu enfin l'Arche, dernière étape de leur périple, où ils feraient halte pour passer la nuit. Comme si elles avaient senti le soulagement de leurs cavaliers, leurs montures accélérèrent, désireuses elles aussi de profiter d'un repos bien mérité.

C'était la première fois qu'Illyria voyageait aussi longtemps. Née à Al-Vor, elle n'avait jamais connu d'autres endroits que les alentours de la ville, et n'avait jamais vu la capitale. Ce n'était certes pas le cas de son fiancé Orin, qui avait vécu la majeure partie de sa vie à Al-Jeit, où sa famille résidait. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils devaient effectuer ce long voyage. Fiancés depuis peu, Orin souhaitait présenter sa compagne à ses parents, qui ne l'avaient jamais rencontrée.

Plus elle s'approchait de l'Arche, plus Illyria sentait monter en elle l'émerveillement. Elle ne s'aperçut pas que sa monture, retenue par Orin, ralentissait peu à peu, et elle n'eut pas plus de réaction lorsqu'il l'arrêta à quelques centaines de mètres de l'Arche, toute occupée qu'elle était à observer le paysage. Orin, à la fois amusé et ému, regardait sa compagne avec tendresse. Il mit pied à terre, puis aida Illyria à descendre. Il déposa un délicat baiser sur son front, avant de lui murmurer :
- Profite encore un peu du spectacle, je m'occupe du campement.

Il n'obtient qu'un vague sourire de sa compagne qui était sous le coup de trop d'émotions. Poussant un léger soupir, Orin s'éloigna doucement dans les bois, en quête de quelques branches pour le feu. Au bout de quelques minutes, il s'immobilisa, croyant avoir entendu un bruit. Il tendit l'oreille quelques secondes. A nouveau il entendu du bruit, un piaffement. Orin s'étonna quelque peu. Le son était trop proche pour que ce soit celui d'un de leur chevaux. La main posée sur le fourreau de son arme, mais pas pour autant alarmé, Orin s'approcha doucement de l'origine du bruit. Au détour d'un bosquet, il aperçu une jeune fille. Malgré l'obscurité grandissante, il lui devinait des cheveux roux et une carnation assez claire. Il estimait son âge à environ treize ans. Rassuré, Orin se détendit, et adressa un sourire chaleureux à la jeune fille.

Un peu surpris par ces questions, Orin ne répondit pas tout de suite. Il regarda Alwen avec étonnement. Lui aussi se posait des questions. Si la jeune fille ne semblait pas s'être égarée, elle n'avait pas plus l'air de connaître les lieux. L'Arche était l'une des plus célèbres constructions de Gwendalavir. Rares étaient les personnes à ignorer son existence. Alwen n'avait pas dû sortir bien souvent de son petit village, songea Orin. Il se demanda comment elle en était venue à voyager seule sur les routes, loin de son village, et sans doute de sa famille. Elle semblait autant ignorante qu'avide de connaissances, mais pourtant décidée à explorer le monde. Orin songea soudainement à sa jeune soeur Senda, et, tandis qu'Alwen se retournait pour fouiller dans son sac, il se demanda comment elle allait en ce moment.

La jeune fille reporta son attention sur lui. Elle attendait des réponses. Se demandant à quelle question il allait répondre en premier, Orin eut un air amusé.

- Et bien, voilà beaucoup de questions ! finit-il par dire.

Pour répondre à ta dernière question, ce bâtiment que tu aperçois derrière toi est l'Arche de Gwendalavir. C'est l'un des plus célèbres monuments de l'Empire. Il fut jadis construit par des dessinateurs, guidés par Merwyn Ril'Avalon, pour commémorer la victoire des hommes sur les Ts'Liches. C'est un dessin permanent, et nul ne sait de quoi elle est constituée, bien que l'on s'accorde à dire qu'elle est un diamant.

Orin fit une courte pause, laissant à Alwen le temps d'assimiler ses paroles. Il avait soudainement l'impression d'être un guide touristique, ce qui, loin de l'agacer, lui tira un sourire amusé. Puis il reprit la parole.

Le seul village à proximité est Cazan, mais hormis des auberges et des boutiques de souvenirs aux prix exorbitants, il n'y a rien à y trouver.
Quant à ce qui se passe dans les villes, hé bien, la réponse ne peut être que vague. Il y a tant d'activité dans les villes, surtout Al-Jeit, que je ne saurais te donner une réponse concise. Je te conseille de t'en faire une idée par toi même... Mais je m'aperçois que j'ai omis de me présenter. Je me nomme Orin Wil'Warren, et je suis capitaine de la garde d'Al-Vor.


[HJ : Je suis débile des fois... j'ai posté mon premier message avec Senda... Toutes mes excuses, j'espère ne plus commettre la même erreur...]

Orin secoua la tête.

Non, fit-il, je ne possède qu'un don très faible pour le dessin. Je ne peux qu'allumer un feu ou dessiner quelques objets de base.

Mais ses pensées n'étaient pas focalisées sur sa réponse, ni même sur les autres questions auxquelles il devait répondre. Il pensait avec peine à l'histoire d'Alwen, la sachant maintenant orpheline. Il comprenait désormais la présence de la jeune fille, ainsi que les raisons de son errance sur les routes de l'Empire. Seule, sans famille, Alwen n'avait aucune attache. Ses yeux s'étaient embués de larmes en repensant à sa famille décédée, et malgré l'obscurité grandissante, on pouvait les voir briller. Orin sentait la peine de la jeune fille, et il fut soudain prit de compassion. Ne sachant trop quoi dire, il posa sa main sur l'épaule d'Alwen, puis se pencha vers elle.

Je suis vraiment désolé pour ta famille. Toutes mes condoléances.

Orin ne sut quoi dire d'autre. N'ayant jamais perdu d'être aussi proche, il ne pouvait qu'imaginer ce qu'elle pouvait ressentir. Se rappelant des paroles de la jeune fille, il supposa que le père et le frère d'Alwen étaient sûrement morts au combat, parmi les innombrables victimes de la guerre contre les ts'lichs. Cette guerre laisserait d'innombrables cicatrices ineffaçables sur tout l'Empire.

Sans un mot, il se redressa, pensif. Il resta immobile quelques instants, avant de reprendre la parole.

Il se fait tard. Tu ne devrais pas rester seule. Je dois rejoindre ma compagne à notre lieu de campement. Veux-tu te joindre à nous ? Je pourrais te raconter tout ce que je sais des dessinateurs pendant que nous marcherons.

Orin regarda à son tour le soleil décliner. Dans quelques minutes, il aurait complètement disparu derrière l'horizon. Les particules de lumière se reflétaient dans l'Arche qui irradiait de multitudes de couleurs, les dispersant à travers l'atmosphère. Le spectacle était féerique, aussi était-il difficile d'en détourner les yeux. Pourtant, Orin tourna la tête, se concentrant sur le chemin à prendre. Tout en marchant, il prit la parole, afin de répondre à la question d'Alwen.

Oui, en quelque sorte. Un dessinateur peut accéder aux spires, qu'on appelle aussi l'Imagination. Ce sont des sortes de chemins invisibles, par milliers, et ils lui permettent à un dessinateur de dérouler leur dessins. Un dessinateur conçoit son dessin dans les spires. Il le façonne comme il lui plait, puis lorsqu'il l'a terminé, le fait apparaître. Plus il ira loin dans les spires, plus beau et complexe sera son dessin.
Cet art n'est pas accessible à tout le monde, comme tu t'en doutes, et les dessinateurs ont un don inné plus ou moins puissant qu'ils apprennent à utiliser. Les plus doués d'entre eux sont admis à l'Académie de dessin d'Al-Jeit. Cependant les dessins créés ne sont que temporaires. Ils disparaissent au bout de quelques minutes. Les dessinateurs les plus expérimentés peuvent créer des dessins permanents, mais il ne le font qu'en d'occasions très exceptionnelles, pour ne pas briser les lois du réel. L'Arche, et une partie de la cité d'Al-Jeit, sont des dessins permanents.

Orin s'arrêta de parler. Ils s'approchaient du lieu où Illyria l'attendait. Elle ne s'attendait sûrement pas à avoir une invitée, mais serait heureuse de l'accueillir. Ils devaient se dépêcher de dresser leur campement provisoire, car la nuit promettait d'être courte, s'ils désiraient partir assez tôt pour atteindre Al-Jeit le lendemain. Intérieurement, Orin sourit en pensant à sa famille, et il lui tardait de leur présenter Illyria. Il sourit de plus belle quand il aperçu Illyria qui les attendait, un sourcil interrogateur levé quant à l'arrivée impromptue d'Alwen.

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