La nuit était noire et sombre, Emrys Til' Lleldoryn et les autres officiers impériaux étaient amplement occupés avec leurs interrogatoires, et la princesse Buhuna Sil' Alfian vivait. Bien entendu, il n'était pas question qu'elle meure, mais personne n'en était conscient, si ce n'est les Fils du Chaos dont Llew Lhanor Til' Huryn faisait partie.
Cette nuit, il profitait de la fébrilité des officiers pour marauder dans les tréfonds des cachots de la Citadelle, tous plus occupés les uns que les autres à veiller à renforcer la protection de la princesse, à interroger des témoins parmi les réfugiés dans l'espoir de découvrir d'autres mercenaires du Chaos dissimulés parmi eux. Le mercenaire Alinor Caosi ne serait probablement pas interrogé ce soir, il ne révèlerait rien d'emblée et il faudrait du temps pour éventuellement parvenir à lui arracher des informations, les officiers des armées impériales en étant conscients. Pauvre Alinor, songeait Llew, il l'avait vu donner le meilleur de lui-même et plus encore pour tenter de tuer la princesse, sans savoir que sa mission était vouée à l'échec, elle avait été conçue dans ce seul dessein. Pourquoi? Eléa Ril' Morienval, sa très gracieuse cousine éloignée, bénéficiait peut-être de l'appui de la Guilde du Chaos pour le moment, mais la cause de la Sentinelle félonne n'était pas celle des Enfants du Chaos et elle n'en était pas consciente, bien entendu. Ni Buhuna Sil' Alfian, ni Eléa Ril' Morienval ne serait tuée ou ne serait vaincue sans l'aval des Fils du Chaos, lesquels n'agiraient que dans leurs seuls intérêts. Llew, par amour pour sa cousine, avait réussi à obtenir pour elle nombre de faveurs, mais son influence n'était pas infinie et il ne pouvait pas s'éloigner outre mesure des intérêts de la Guilde du Chaos, sans quoi il serait vite neutralisé.
Mais, cette nuit, ces préoccupations étaient triviales, Llew Lhanor Til' Huryn devait se tourner vers Alinor Caosi et s'assurer son silence : soit le mercenaire mourrait, soit il vivait et serait libéré d'une manière ou d'une autre. Usant de ses multiples talents, le Mentaï s'était infiltré, non sans mal, dans les cachots de la Citadelle et il devait reconnaître que les Frontaliers savaient y faire pour surveiller des prisonniers importants. Néanmoins, il n'était pas un Mentaï pour rien et l'art de la dissimulation était une seconde nature chez lui : Qui d'autre qu'un Frontalier pouvait circuler parmi les Frontaliers sans attirer la moindre attention? Bientôt, il arrivait devant la geôle d'Alinor, il discuta un instant avec les Frontaliers en sentinelle, et parvint à les écarter de son chemin pour un moment. Sans tarder, il usa de son don pour installer des alarmes qui l'avertiraient de leur retour. Il observa le jeune homme étendu sur le sol et murmura :
- Alinor, Alinor, mon doux assassin! Que vais-je faire de toi? Que vais-je faire d'un Enfant du Chaos qui n'a pas été capable de tuer la princesse Buhuna Sil' Alfian alors que la tâche était si aisée? Que vais-je faire d'un Enfant du Chaos qui est tombé entre les mains des Frontaliers au lieu de mourir?
Laissant son interrogation en suspend, usant d'un effet oratoire qui lui était coutumier avec ses subordonnés, Llew reprit aussitôt :
- Assez de questions rhétoriques, tu devrais être mort, Alinor Caosi... et pourtant, tu vis. Donne-moi une seule bonne raison de ne pas t'accorder la mort que tu mérites, Alinor! Donne-moi une seule bonne raison de te maintenir en vie et d'organiser ton évasion après un tel échec qui me déçoit!